Démarche de création photographique
Ma démarche de création photographique s’inspire d’une réflexion phénoménologique et plus particulièrement d’une phénoménologie de la perception[1]. Nous ne regardons pas ce que nous voyons. Chaque jour notre appareil sensoriel perçoit près de 250 millions d’images (la rétine fonctionne au 1/60eme de seconde). Généralement nous ne prêtons pas attention aux détails, à ce qui se trouve en périphérie du champ visuel. Mais notre appareil psychique a un fonctionnement inconscient et préconscient qui perçoit ce que notre moi conscient ignore. Et parfois il nous alerte et nous pouvons être surpris par une scène, ressentir une émotion incompréhensible.
Le processus photographique opère une double scansion dans le temps et dans l’espace. Le temps de la prise de vue capte un instant qui ne sera jamais plus. On peut le capter dans une instantanéité imperceptible- au 1/1000 ème de seconde- ou au contraire en choisissant une exposition lente qui laissera des traces visuelles des mouvements des objets ou de la camera. Nous aboutissons à une image qui, comme le rappelle Roland Barthes dans la chambre claire, est un néant d’objet et, dans un même mouvement, à égalité, est le témoignage que cet objet a bien existé et qu’il a été là où on le voit.
La scansion topographique amène le regard à des vues inhabituelles; en cela le photographe est « tel un acrobate qui doit défier les lois du probable et du possible ; à l’extrême il doit défier celles de l’intéressement : la photo devient surprenante dès lors qu’on ne sait pas pourquoi elle a été prise »[2]. Mais, paraphrasant Merleau Ponty lorsqu'il évoque Descates nous pourrions soutenir que la photo, n’est pas la simple reproduction d’un espace, d’une relation entre les objets tel que le verrait un tiers, témoin de ma vision ou un géomètre qui la construit et la survole. C’est un espace compté à partir de l’oeil du photographe comme point ou degré zéro de la spatialité. Une phrase de « l’oeil et l’esprit », essai rédigé par Maurice Merleau Ponty le dernier été de sa vie au Tholonet, près de la montagne Sainte Victoire, a profondément inspiré ma démarche : « Quand je vois à travers l’épaisseur de l’eau le carrelage au fond de la piscine, je ne le vois pas malgré l’eau, les reflets, je les vois justement à travers eux, par eux. S’il n’y avait pas ces distorsions, ces zébrures de soleil, si je voyais sans cette chair la géométrie du carrelage, c’est alors que je cesserais de le voir comme il est, où il est, à savoir : plus loin que tout lieu identique. L’eau elle-même, la puissance aqueuse, l’élément sirupeux et miroitant, je ne peux pas dire qu’elle est dans l’espace ; elle n’est pas ailleurs, mais elle n’est pas dans la piscine. Elle l’habite, elle s’y matérialise, elle n’y est pas contenue, et si je lève les yeux vers l’écran des cyprès où joue le réseau des reflets, je ne puis contester que l’eau le visite aussi, ou du moins y envoie son essence active et vivante »[3].
A partir ce cette volonté d’essayer de déployer un regard accroché à un « punctum » hors champ, qui doit amener le spectateur hors de son cadre, je propose des séries dont plusieurs albums sont exposés sur le site.